Journal International de Médecine
Ce que cache la polémique sur la contraception
Par le Pr Israël Nisand et le Dr Brigitte Letombe Paris, le samedi 19 janvier 2013 – Impossible de savoir si l’agitation médiatique actuelle autour des pilules de troisième et quatrième génération provoquera en France, à l’instar de ce qui avait été observé en Grande-Bretagne en 1995, un « pill scare ». Il y a plus de quinze ans, « une panique à la pilule » avait provoqué outre-Manche l’interruption intempestive de leur contraception par de nombreuses jeunes femmes, phénomène qui s’était tristement soldé par une augmentation de 15 % des IVG. Ce qui est certain, c’est qu’une véritable agitation s’est emparée des autorités sanitaires, qui multiplient les tentatives de désamorçage de cette « crise », sans éviter plusieurs écueils. Dénonciation aveugle des pratiques médicales, sur-réaction face à des événements très médiatisés (des dépôts de plainte judiciaire) mais sans aucune force probante, appel impuissant à l’Europe… Qu’est-ce que cache cet empressement des autorités politiques et sanitaires ? Le refus de connaître un Mediator 2. Sans doute. Mais pas seulement. Sans concession, le professeur Israël Nisand et le docteur Brigitte Lecombe livrent ici leur analyse cinglante des dessous de la polémique actuelle.
Nous, médecins, ne sommes pas chargés des vérifications sanitaires préalables à la mise sur le marché des médicaments. Nous payons, au travers de nos impôts, des agences, théoriquement indépendantes, qui ont des moyens considérables pour effectuer les vérifications nécessaires à la protection des Français contre des produits qui pourraient être nuisibles pour leur santé. Ces mêmes agences sont également en charge de décider du remboursement de tel ou tel médicament et là interviennent d’autres considérations plus politiques comme le service médical rendu par exemple.
De l’impossibilité de confirmer un risque supérieur avec les données actuelles Si ces verrous n’ont manifestement pas fonctionné correctement dans la triste affaire du Médiator, comme d’ailleurs auparavant dans l’affaire dite du sang contaminé, il est particulièrement indélicat d’en rendre responsables les médecins qui ne font que prescrire des médicaments disponibles dans les pharmacies. Pour les pilules de 3ème génération d’ailleurs, rien de neuf sur les risques de thrombose depuis 2009, date du remboursement de ces pilules. Sauf des plaintes en justice. Nos autorités auraient-elles été prises d’une panique ? Une crise du Médiator, c’était déjà dur ; deux crises, une véritable catastrophe pour les responsables de santé publique.
Des compétences qui font cruellement défaut dans l'entourage ministériel Pourquoi l’agence européenne n’a t-elle pas accepté les injonctions politiques de la ministre de la santé de retirer ces médicaments du marché ? Tout simplement parce qu’elle est la seule à avoir des certitudes sur la question des risques de ces médicaments, les certitudes que confère l’idéologie quand celle-ci est amenée à remplacer des compétences qui font cruellement défaut dans son entourage.
Les données dont nous disposons tous en effet, à moins que les agences aient des données secrètes, mais alors pourquoi ne les diffusent-elles pas, sont issues d’une étude de cohorte rétrospective à partir de plusieurs registres danois différents (Lidegaard [1]) recueillies dans un pays où la prescription des 3èmes générations est majoritaire, sans qu’il soit possible, dans ces registres, de voir si les femmes à qui on les a prescrites n’avaient pas un facteur de risque plus élevé. D’ailleurs celles qui prennent des 2èmes générations sont sûrement des utilisatrices plus anciennes ce qui supprime de la comparaison les effets « Starter » d’une primo prescription. Mais cela aussi, on ne le sait pas. Bref, c’est une étude sur des registres, comportant les imperfections méthodologiques habituelles de ce type de publication : large mais imprécis. Or là, il s’agit de dire si le 0,4/‰ des 3èmes et 4èmes générations est significativement supérieur au 0,2‰ des 2èmes générations de la publication de Lidegaard.
Pour avoir une puissance de discrimination de ce niveau là, il faut absolument s’affranchir des biais massifs inhérents à un registre et ceci ne peut se faire que par un essai contrôlé randomisé de grande taille, essai qui n’existe tout simplement pas pour l’instant. Si différence il y a, elle est certainement de très faible ampleur et ne mérite pas qu’on présente uniquement les risques relatifs (le doublement des risques qui effraie tout le monde) sans rappeler la faiblesse des risques absolus (4/10 000 dont 2 % d’accidents graves : 1,5 décès pour 100 000 années femmes contre 12 décès pour 100 000 femmes enceintes [2]). Il n’y a malheureusement pas de contraception parfaite adaptée à toutes les femmes ni de contraception totalement dénuée de risque, sauf l’abstinence ...
Des médecins français bien plus responsables qu’on veut le faire croire Mais on peut affirmer, sans grand risque de se tromper, qu’il vaut mieux prescrire une pilule à 15 ou 20 gammas d’éthinyl œstradiol fût-elle de 3ème génération qu’une pilule à 50 gammas d’EE même si elle fait partie de la classe des 2èmes générations. On ne sait donc pas les risques comparés de manière certaine, si bien qu’il est justifié, devant le doute et par précaution, de prioriser la prescription de 2èmes générations faiblement dosées en première ligne en réservant l’usage des 3èmes générations aux situations contraceptives difficiles et en assortissant la prescription d’une information sur nos doutes. C’est ce qui est pratiqué aujourd’hui par les médecins français, malgré les accusations à peine voilées de notre ministre. Ils prescrivent deux fois moins de pilules de 3èmes et 4èmes générations qu’en Italie, Espagne, Allemagne ou Danemark.
Mais comme il était urgent de faire des économies en même temps que l’on remboursait l’IVG à 100 %, ne serait ce que pour équilibrer cette dépense là, l’annonce en septembre 2012 du déremboursement des 3èmes générations (pour dans un an) a eu un corrélat prévisible, jeter le doute sur les contraceptions orales. D’où les plaintes en justice et la panique de nos agences de sécurité du médicament qui travaillaient sans filet depuis l’affaire du Médiator. Et déjà les premières IVG après arrêt intempestif de la pilule suite à l’annonce de septembre 2012 de dérembourser les 3èmes générations arrivent dans nos services.
Les femmes grandes perdantes de cette polémique stérile La santé publique ne se gère pas au doigt mouillé dans le vent. Créer de toutes pièces une crise sanitaire pour des enjeux économiques et politiques (démontrer que la ministre précédente a eu tort de rembourser les 3èmes générations en montant sur le blanc destrier de celle qui protège la santé des françaises), c’est oublier ce qui s’est passé en Angleterre en 1995 où le Pill scare a d’un seul et même coup fait baisser la contraception de 40 % quand l’IVG augmentait de 15 % sans qu’il y ait moins d’accidents thrombotiques (3). Cette polémique sur la contraception est donc destinée à cacher l’inconfort majeur de nos agences et l’incompétence du ministère de la santé. Son coût, un pill scare à la française, et une décrédibilisation supplémentaire du corps médical dans son ensemble. Bref un mauvais coup pour les femmes.
Israël Nisand est chef du pôle mère-enfant au sein des hôpitaux universitaires de Strasbourg Références
1) Lidegaard O, BMJ, 2011, 344. Les intertitres sont de la rédaction du Jim
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Qu'ajouter de plus ? Tout est dit et très bien dit !