Macron: le mirage, jusqu’à quand?
Il est encore temps d’ouvrir les yeux !
Gérard Blua
est écrivain et éditeur.
Sorti de nulle part, Emmanuel Macron y retournera-t-il aussi vite ?
La France entière – et pour des raisons diamétralement opposées – retient son souffle devant cet avatar de François Hollande : serait-il consistant ou bien ne serait-il qu’un courant d’air ? Est-il notre futur cauchemar présidentiel ou bien l’un de nos rêves puérils et fugaces ? Il faut dire que le spectacle est bien monté, l’acteur de bonne volonté dans son jeu, le public parfaitement préparé à l’applaudimètre par des commentateurs unanimes à suivre les ordres d’un dramaturge masqué. Bref, une représentation théâtrale fournie clés en main, avec deux dates exclusives de représentations nationales, les 23 avril et 7 mai prochains. Et en prime, la certitude d’une remise d’un César exceptionnel au héros. Un César qui n’aura jamais autant mérité son nom, vu le nombre de Brutus désormais en présence.
Une candidature marquée par la trahison
Car il n’aura échappé à personne que ce qui marque profondément cette candidature tombée du décor céleste, c’est la trahison. De toutes parts. De gauche comme de droite. Sans oublier le centre. Chacun fourbissant les pires ruses, déloyautés et traîtrises. Comme si Emmanuel Macron représentait avant toute chose, un dernier espoir de recyclage pour les seconds couteaux vieillis et les oubliés chroniques de la politique, c’est-à-dire tous ces néo-Judas fabriqués depuis des décennies par un système qui n’arrive plus à maîtriser la médiocrité. Ceux-là même qui, dans les Républiques troisième et quatrième, eussent fait et défait tous les gouvernements. Mais sont réduits depuis de Gaulle à suivre pour survivre, à se fondre dans l’anonymat d’un parti pour exister. Girouettes à l’arrêt sur le bord du chemin du pouvoir, attendant, souvent vainement dans le désert de Buzzati, qu’un Eole présidentiel veuille bien passer par là et leur donner un peu de vie.
Mais à quel Molière adepte des petites combinaisons et des sordides agencements côté cour et côté jardin, doit-on cette tragique comédie qui ramène une élection présidentielle à la pantalonnade la plus mortelle et notre pays au rang des pouvoirs bananiers ? Car il ne faut pas être expert en logique pour déceler dans le déroulement d’horlogerie suisse des événements que nous vivons depuis trois mois, une construction de longue date. Qui peut encore croire que le chœur des « Il est né le divin Macron » ne battrait que d’un élan religieux reconnaissant un esprit supérieur qui, selon Raphaël Stainville dans Valeurs actuelles, « marcherait sur l’eau » ?
Serait alors supérieur celui qui jette son pays dans les mains du Tribunal international pour « crimes contre l’humanité » commis en Algérie. Oublieux du calvaire et du massacre des Pieds-Noirs et des Harkis.
Serait alors supérieur celui qui, récemment, voit la Guyane comme une île dérivant on ne sait où. Peut-être entre l’Atlantique et l’Oural.
Serait alors supérieur celui qui peuple le département de Guadeloupe d’expatriés. Et pourquoi pas de colonisateurs.
Serait alors supérieur celui qui affirme sans rire qu’il n’y a pas de culture française. Notre héros serait-il inculte ou bien aurait-il honte de ses fondations et de son éducation ?
Serait alors supérieur celui qui, dans un récent débat télévisé présidentiel, comme on chasse le papillon, ramasse avec aplomb, chez ses adversaires de droite comme de gauche, les idées les plus consensuelles pour en faire, d’un tour de passe-passe, son programme. S’empêtrant dans les 35 heures, supprimées sans qu’on les supprime, conservées sans qu’on les conserve. Et surtout, qu’on ne l’ennuie plus avec ces petits détails vulgaires ! L’acteur reprend sans cesse le dessus sur le penseur !
Une image virtuelle flottant dans le néant
Car c’est cela Emmanuel Macron : une image virtuelle flottant dans le néant. Certains parlent de télé-réalité. D’autres font référence à un télé-évangéliste. Mais ce qui a prévalu à mon sens dans la délivrance des rôles, c’est son aplomb et son ambition. Le vide ambiant importe peu puisque le texte lui est fourni. C’est uniquement pour cela qu’il fut choisi et choyé dans les langes élyséens. Puis envoyé dans l’urgence d’un délitement quinquennal sur les routes du pouvoir. Mais l’élocution – dont, comme Démosthène, il fut instruit – n’est pas l’éloquence, et le sophisme n’est pas la philosophie. Ce qui tend à démontrer que le théâtre n’est pas la vie. Enfin, la vie quotidienne de tous nos concitoyens. Pas celle qui illumine les magazines people où, il faut le reconnaître, notre candidat-comédien excelle. Comment s’étonner dès lors du puzzle d’affirmations qui marque ses interventions agitées et criardes : « On se fout des programmes ! » « Je revendique l’immaturité en politique ! » « Il faut penser printemps ! » « Je ne suis pas socialiste ! », ce parti dont il fut, pour bien engager sa course à l’échalote. Le meilleur est pour la fin. Ecoutez-le dérouler son véritable programme à Marseille : « Je soutiens l’OM ! » Ah bon. Quid de son prochain meeting à Paris ?
Ce qui m’inquiète le plus en l’occurrence, ce n’est donc pas le personnage lui-même, mais ceux qui se rallient à son panache d’accessoires de théâtre. Il y a, bien sûr, l’ensemble des assoiffés qui suivraient Panurge jusqu’au fond des océans pour un petit éclat politicien, juste leur nom une dernière fois sur une liste. Certes, il y a un peu de dégoût à voir ces encartés antagonistes se presser au guichet et démontrer ainsi au « Un pour tous, tous pourris » de Coluche qu’il était tout simplement visionnaire. Mais il y a tous les autres, nos voisins de palier, de bureau, les anonymes de la rue, qui n’ont pas encore compris que derrière le spectacle brillant de l’artiste, il faudra gouverner un pays, le sixième mondial, avec une majorité qui devra prendre des décisions, laquelle ? Majorité qui aura alors le doigt sur le bouton atomique. Grands dieux ! Donne-t-on des allumettes à un enfant si près d’un dépôt d’essence ? Le général de la gendarmerie Bertrand Soubelet, avec beaucoup de sagesse, vient de dire : « Sans moi » et quitte l’esquif d’Emmanuel Macron. Une décision qui rassure l’intelligence et remet un peu d’ordre dans l’incroyable foutoir qui guide nos pas depuis des mois. Mais les autres ? Ceux qui de droite à gauche tendent leur sébile pour recueillir l’onction du prophète, comment pourront-ils accepter de faire ce qu’ils refusaient dans leurs partis originels ? Et ceux qui se pressent sur les gradins pour se nourrir des mots du prédicateur, quelle sera leur réaction lorsqu’ils vérifieront qu’ils ne recouvrent rien ? Il reste deux semaines devant nous pour voir la réalité et non les sept voiles qui la vêtent. Il reste deux semaines devant nous pour ne pas donner le coup de pied de l’âne au lion France, bien malade il est vrai.
Gérard Blua