Un article signé par Jéremy Collado datant de Octobre 2017 ! et que je partage, notamment la défiance vis à vis de l'argent :
Bayrou et Mélenchon, deux insoumis qui feraient un ticket improbable
23.10.2016 - 10 h 18, mis à jour le 23.10.2016 à 10 h 18
Des affiches prises le 18 avril 2012 pendant la campagne présidentielle | SEBASTIEN BOZON / AFP
En apparence, le centriste et l'insoumis s'opposent sur le fond comme sur la forme. En réalité, les deux hommes qui ont rompu avec le système des partis sont deux républicains aux lignes idéologiques similaires. Peuvent-ils s'unir?
Ségolène Royal sonne frénétiquement à la porte de son immeuble, dans le VIIearrondissement de Paris, mais François Bayrou refuse d'ouvrir. La scène est cocasse. Et elle oppose encore aujourd'hui les deux ex-prétendants à l'Élysée, qui n'ont toujours pas la même version de l'histoire. Nous sommes entre les deux tours de la présidentielle de 2007 et Marielle de Sarnez, toute puissante conseillère du candidat centriste, conseille alors à son champion de ne pas faire monter la candidate socialiste. Sinon, dès le lendemain, le Tout-Paris le saura, souffle-t-elle. Horreur! Malédiction! Bayrou, le troisième homme, pense déjà à la suite. Il n'ouvrira pas.
À l'époque, on se demande si l'ancien patron de l'UDF ne va pas s'associer au PS pour casser la gauche et fonder un vrai parti social-démocrate. Raté, cinq ans après, Bayrou appelera à voter Hollande, en se mettant à dos une partie de son aile droite.
L'affirmation peut sembler provocatrice, illogique et absurde, tant Bayrou respire la droite et cherche aujourd'hui à se réconcilier avec elle, en soutenant Juppé à la primaire. Mais que se passerait-il si Bayrou s'alliait avec Mélenchon? Dix ans après ce rendez-vous manqué entre Ségolène et le Béarnais, Bayrou n'a jamais paru aussi proche... du leader de la France insoumise. Sur les idées, sur l'histoire et l'attitude politique: c'est Docteur Bayrou and Mister Mélenchon.
Au Bourget, Hollande a battu les deux insoumis
D'ailleurs, il n'y a qu'à voir le terme choisi par Mélenchon pour axer sa nouvelle campagne présidentielle: insoumis. Bayrou n'a-t-il jamais cessé de l'être, insoumis? Il le revendique: son tempérament fougeux l'empêche d'obéir aux logiques d'appareil ou à la technocratie:
«À la fin des années 1990, je me suis aperçu que la plupart des décisions essentielles étaient prises à l’insu des citoyens. Le monde dans lequel on vivait, celui qu'on présentait dans les émissions de télévision, ce monde-là était une mise en scène. Les vraies décisions se prennent ailleurs», jurait-il à Slate, en avril 2015. «Cela a été pour moi une lente et bouleversante prise de conscience. J'étais un jeune homme politique qui croyait naïvement que la politique était méritocratique, sur le modèle scolaire. Et que les choses se faisaient au grand jour.»
Je me suis aperçu que la plupart des décisions essentielles étaient prises à l’insu des citoyens
Jean-Luc Mélenchon
Retour en arrière. 2012, discours du Bourget. Le jour du discours du Bourget, le candidat du PS a joué au scénariste hollywoodien en faisant croire aux électeurs français qu'il était contre la finance. Une bonne blague (corrézienne) mais surtout l'assurance d'écraser ses adversaires politiques. Ce jour-là, son discours tonitruant lui a permis d'agréger les voix des catholiques –pour qui l'argent est forcément suspect– et celles de la gauche de gauche –pour qui la finance est un adversaire du prolétariat. En fusionnant les deux, Hollande a pris l'élan qui l'a mené à l'Élysée. Il a terrassé son opposition et pris, pour la première fois, une décision idéologique dans une campagne bien fade où la gauche attendait que Sarkozy se désintègre tout seul.
Ce jour-là, Hollande a surtout battu Bayrou et Mélenchon.
Car les deux hommes sont les deux visages d'une France qui n'aime pas l'argent. Une France enracinée dans l'histoire, soucieuse de justice sociale et en rupture de ban avec le système politique traditionnel. Si ces deux-là ne sont plus aux premières loges du paysage politiques, leurs idées, elles, sont pourtant en haut de l'affiche. Elles se mélangent et dépassent très largement les clivages politiques.
«Les forces qui ont amené François Hollande au pouvoir étaient de gauche. Et leurs aspirations, leurs espoirs étaient très forts en faveur d'une politique de gauche, contre l'argent qui corrompt, pour l’épanouissement des salariés...», se souvient Benoît Hamon, qui regrette que ce discours se soit dilué très vite après la campagne, une fois la gauche au pouvoir.
François Bayrou, lui, en est convaincu: c'est au Bourget que François Hollande lui pique ses électeurs et s'envole vers la victoire. C'est à ce moment-là qu'il devient crédible et qu'il incarne l'espoir d'une revanche de la France sur les forces de l'argent incarné par Sarkozy le «bling-bling». Jusqu'au Bourget, l'ancien ministre espère encore attirer une majeure partie de ces centristes qui naviguent entre deux eaux et tiennent, en partie, l'élection dans leurs mains.
Le bruit et la fureur vs le consensus et la rondeur
Bayrou et Mélenchon sont deux fils de pauvres pour qui l'argent n'a aucun sens. Et pourtant: tout semble les opposer. D'abord leur style. L'un est dans la modération, le consensus et la rondeur, hérités de ses années pyrénéennes où ce littéraire a dû endosser le rôle de père de famille et reprendre l'exploitation agricole familiale après le décès accidentel du paternel.
L'autre est dans la fureur, le bruit et la violence, que les guerres de décolonisation et la destruction d'un paradis perdu lui ont collé dans la peau, jusque dans ses expressions de méditerranéen bourru qui parle avec ses mains. Ce qui lui attire les foudres de certains médias, Libération et Le Monde en tête, qui trouvent là un moyen facile de le diaboliser...
L'un fut un cacique de la droite. Et il en est parti avec fracas et un certain courage pour continuer à penser librement. Il faut se rappeler de Toulouse, où Bayrou est hué sur scène en 2002 parce qu'il ose dire très fort, quand le RPR et l'UDF fusionnent dans l'UMP, ce que personne ne veut encore entendre: «Si on pense tous la même chose, c'est que l'on ne pense plus rien.»
L'autre fut un éléphant du Parti socialiste, qu'il a quitté dans la douleur et avec quelques troupes pour continuer à penser la gauche. Il faut se rappeler du Congrès de Reims, et de la victoire entachée de Martine Aubry, qui convainc Mélenchon de faire ce qu'il a voulu faire en 2005, après avoir porté le «non» victorieux contre le Traité constitutionnel européen. À chaque fois, pour les deux garçons, c'est une histoire de Congrès qui les fait rompre. Si les clivages traditionnels avaient encore un sens, Bayrou et Mélenchon seraient opposés. Mais sur l'Europe, par exemple, ils se ressemblent: ils ont tous les deux soutenu Maastricht avant d'en revenir.
Certes, Bayrou reste fidèle à ses convictions de jeunesse et ne veut pas désespérer dans l'Europe, même s'il en rejette la forme technocratique. Mais les deux bonhommes veulent associer les citoyens à une Union qui les dépasse. Certes, Mélenchon semble d'abord obsédé par sa «révolution citoyenne» et la destruction d'un système capitaliste, quand Bayrou est animé par la construction d'un modèle réformiste où le consensus l'emporte sur le reste.
Certes, leurs propositions économiques s'opposent parfois, même si les valeurs qui les animent sont en partie les mêmes. Bayrou rejette Keynes et ses effets: il croit dans la politique de l'offre, quand Mélenchon propose de relancer d'abord la demande. Opposition de style, d'idéologie et de tempérament, donc. Mais une vraie promixité humaine et politique –c'est la même chose–, si l'on veut bien sortir des sentiers battus de l'interprétation convenue. Bayrou, Mélenchon, ce sont deux insoumis rock'n roll qui tracent leur route malgré les défaites.
Réunis par l'Histoire
Quand une partie de la droite se lance dans une course-poursuite au FN, Bayrou et Mélenchon tentent un pari: défendre une société tournée vers l'humain, contre le matérialisme et pour une forme de spiritualité –qu'elle soit chrétienne pour Bayrou et laïque pour Mélenchon.
«L'humain d'abord!», clamait le fondateur du Parti de gauche lors de sa campagne de 2012. Une «troisième voie» qui dépasse le socialisme et le capitalisme, promet Bayrou encore aujourd'hui, s'inscrivan dans l'humanisme de Montaigne et d'Henri IV, son modèle, qui fit coexister les religions en France en façonnant l'édit de Nantes. Une prouesse qui doit ravir Mélenchon, l'ancien franc-maçon, qui fut toujours réticent face aux expressions publiques de la religion.
Mais s'il ne fallait retenir qu'une seule qui les réunit, c'est surtout l'histoire Et l'irruption de la volonté dans le monde, ce qui est la définition même du politique. OK, les deux politiques en font une interprétation différente: par exemple, difficile de réconcilier Bayrou et Robespierre, que Mélenchon veut réhabiliter, autant par passion révolutionnaire que par amour de la provocation et honnêteté intellectuelle, jure-t-il.
Ces deux-là se ressemblent. Ils aiment l'histoire, la grande, qu'ils veulent perpétuer, quand d'autres se contentent de gérer le réel. Ce n'est donc pas un hasard si Bayrou et Mélenchon sont les rares –et peut-être même les derniers, dans le sérail politique–, à écrire eux-mêmes leurs livres...
«L'Histoire nous prend toujours au dépourvu», soulignait Bayrou dans L'Express avant l'été et après le Brexit. «Une des grandes faiblesses de l'espèce humaine, c'est de croire que ce qui est durera toujours. En août 1914, quand la guerre arrive, il y a un incroyable effet de surprise. Et nous, en 2016, nous imaginions que l'Europe était établie pour toujours. Elle ne l'était pas.»
Ils pensent tous les deux que président de la République est une fonction historique et non pas politique.
«J'écoute ce que dit Mélenchon avec intérêt. Nous avons des visions différentes mais je suis intéressé par ce qu’il est, ce qu’il représente et ce qu’il dit. Peut-être même est-ce réciproque? Au lieu d’avoir une vie politique hégémonique, j’appelle de mes vœux un système politique pluraliste», glissait encore le président du MoDem dans la revue Charles, avec une forme de délicatesse dans la parole.
François Bayrou n'a jamais caché ses sympathies pour la proportionnelle, qui rendrait l'Assemblée vraiment représentative des forces politiques en présence. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il affectionne un système parlementaire où les députés auraient la liberté d'écrire la loi pour le peuple et non contre lui.
Rien d'étonnant à ce que Mélenchon ait rendu la monnaie de sa pièce à Bayrou, avec lequel il aime bavarder de temps à autre, même si leurs relations n'ont pas toujours été au beau fixe: «Il incarne la solution intermédiaire: c'est un littéraire qui ne parle pas la langue métallique des technos, il parle aux classe moyennes, il peut faire du Pompidou».
Au-dessus des partis
Bayrou ne rêve pas de faire du Pompidou: il rêve de faire du Bayrou. Pendant longtemps, il a imaginé casser la Ve République en construisant une majorité large. Aujourd'hui, il se replace à droite. Sans pourtant autant renier ses valeurs. Ce qui le rapproche d'un certain... Jean-Luc Mélenchon. Pendant longtemps, l'ancien sénateur de l'Essonne a pesé sur le PS en pensant le transformer de l'intérieur. Aujourd'hui, il n'a rien abandonné de ses convictions mais s'est mis en rupture face aux socialistes.
Je crois à la rencontre d'un homme et d'un peuple
François Bayrou
«Il y a du monde autour de moi, et de qualité, mais je crois à la rencontre d'un homme et d'un peuple», jurait le Béarnais sur France Inter, quelques jours avant le premier tour de 2012. Mélenchon l'insoumis a décidé de passer outre les communistes pour présenter sa candidature en 2017, dans la plus pure tradition gaullienne. «Je ne demande la permission à personne. Je le fais hors du cadre des partis, je suis ouvert à tout le monde, les organisations, les réseaux, mais les citoyens d’abord», jure Mélenchon, qui dénonce les «carabistouilles» politiciennes de la primaire de gauche. Quant à Bayrou, il prétend soutenir Juppé pour mieux se réconcilier avec la droite... avant d'espérer le lancer seul en 2017.
Et si les deux avaient compris que les partis étaient morts? Et si les deux faisaient le pari qu'une véritable union nationale passait par l'alliance de leurs deux camps? Eux qui pensent, comme deux intellectuels, que la course à la présidentielle est d'abord la rencontre d'un homme et d'un peuple... et non pas la rencontre d'un peuple avec les idées d'un homme, il serait temps de choisir la meilleure formule: à deux, rien d'impossible.
Bayrou et Mélenchon sont au-dessus des partis. Ce qui ne manque pas de les agacer. Il faut voir: ce sont les partis qui sont le plus gênés par les deux hommes. Alors qu'attendent-ils pour s'associer? Se présenter ensemble en 2017? Républicains, laïcs, européens, soucieux de justice sociale: ils ont tout pour s'entendre!
Un ticket improbable
En France –où les partis règnent–, il faut bien reconnaître qu'une telle hypothèse est improbable. Et presque fantaisiste pour des élites qui ne réfléchissent que de façon binaire. Notre pays n'est pas l'Allemagne, qui parvient à construire des larges coalitions qui paraissent incohérentes mais dans lesquelles chacun négocie une partie de ses convictions. La France vibre tous les cinq ans pour élire un homme providentiel qui appartient à l'un des deux camps qui gouverne depuis toujours: droite ou gauche.
Mélenchon et Bayrou, qui n'appartiennent ni à l'un ni à l'autre (même s'il faut nuancer pour Mélenchon, qui veut représenter la gauche mais reste isolé à la gauche de la gauche), n'ont en principe aucune chance d'y arriver, même s'ils sont d'excellents candidats de deuxième tour. La politique, c'est l'art de déjouer les sondages et les théories toutes faites. Mais il y a peu d'exemples, en France, d'une majorité d'idées qui dépasse les clivages, sinon le Conseil national de la Résistance ou les tentatives de gouvernement d'union nationale sous les précédentes Républiques...
L'Obs ne s'y était pas trompé, il y a un an, en invitant les deux hommes à débattre dans ses colonnes. La proposition de Renaud Dély, alors rédacteur en chef, était restée dans les tiroirs. La faute à Bayrou, qui refuse souvent des interviews. Qu'importe. Cela voulait bien dire quelque chose: entre ces deux hommes, il se passe décidemment quelque chose. Mais dans un monde où l'ironie est reine, les gens sérieux sont souvent ceux qui perdent à la fin.